Note sur l'avant projet de Loi CESEDA présenté le 9 février 2006

Publié le par psinfo

Dans la droite ligne de la politique menée depuis 2002, le gouvernement présente une nouvelle réforme visant à " une maîtrise quantitative des flux migratoires " (exposé des motifs du projet de loi) alors que l'objectif annoncé est de " passer d'une immigration subie à une immigration choisie " jouant sur l'ambiguïté de savoir qui choisit et qui subit ?

Il s'agit en fait de réduire les conditions d'une immigration légale en restreignant les hypothèses de régularisation des migrants sur le territoire français, donc en augmentant le nombre de sans papiers tout en affichant un discours d'ouverture au travers du principe des quotas de titres de séjours " compétences et talents " (titre qui existe déjà depuis la loi de 2003) réservés au étrangers diplômés.

Nicolas SARKOZY tente de faire passer une réduction des droits des étrangers à mener une vie familiale normal par un discours de façade sur l'immigration choisie qui reconnaîtrait les talents, les diplômes et surtout les soi-disant besoins de la France en matière des travailleurs diplômés.

Déjà avec les lois du 26 novembre et 11 décembre 2003, les conditions d'accès aux séjour des étrangers (immigration et asiles) avaient été restreintes, et la précarisation des conditions de vie des étrangers en situation irrégulière renforcée : restriction de l'accès à l'aide médicale d'Etat et à la CMU, en violation de la Charte sociale européenne, l'instauration de " filtres " à la recevabilité par les juridictions administratives des requêtes déposés par les étrangers contre le refus de visas ou les arrêtés de reconduite à la frontière pris par l'administration française.

Parmi les mesures annoncées dans le texte validé en comité interministériel du 9 février 2006, on note un durcissement des conditions de regroupement familial et l'organisation cynique d'une immigration de travail régulière ou irrégulière.

1) Restriction du droit à mener une vie privée et familiale :

Le durcissement des conditions d'entrée des migrants, notamment au regard du droit au regroupement familial pour les étrangers en situation régulière :

  • Le regroupement familial ne sera désormais possible :
    - qu'après 18 mois de présence au lieu d'une année actuellement sous réserve de critères de tailles de logement à définir par arrêté,

    - et des revenus limités aux seuls revenus du travail (minimum moyenne mensuel du SMIC) excluant du calcul le bénéfice des prestations sociales,

    - ainsi qu'à la demande de l'autorité administrative, le maire devra " émettre un avis pour l'appréciation de la condition d'intégration ".
  • Suppression de la délivrance de la carte de séjour d'un an " vie privé et familiale " à l'étranger en situation irrégulière qui justifie vivre depuis plus de 10 ans en France (ou 15 ans si il a été étudiant pdt cette période) (art.L.313-11) :

    - Lorsque le refus d'autoriser son séjour porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du motif du refus, l'étranger qui pouvait jusqu'alors bénéficier d'une carte de séjour d'un an, devra désormais pour pouvoir bénéficier de cette autorisation au séjour, prouver des " liens personnels et familiaux anciens, stables et intenses ", de ressources stables et suffisantes ( = le smic sans compter les prestations sociales), d'un logement " considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France " (sic !) : tout à fait justifiable quand on est en situation irrégulière et que l'on travaille au black !
  • Conditions renforcée pour la délivrance de la carte de séjour " vie privée et familiale " à l'étranger en situation irrégulière marié à un étranger bénéficiaire de la carte de résident de 10 ans (art. 20 avt projet) :

    - Nouvelles conditions : que l'étranger en fasse la demande dans les trois mois qui suivent son entrée en France. Idem pour les enfants de résidents entrés mineurs en France : demande à faire dans les 3 mois qui suivent ses 18 ans....
  • L'étranger marié à un(e) français(e) bénéficie aujourd'hui de droit :

    - à un titre de séjour vie privée et familiale d'un durée d'un an à condition que son entrée sur le territoire ait été régulière (visa touriste compris) sans condition de durée de vie commune selon la loi (1 ans minimum selon la circulaire).
    ° Avec le projet de loi CESEDA, l'étranger marié à un(e) français(e) pourra obtenir ce titre de séjour d'un an à une double condition : détenir un visa destiné à un séjour de plus de trois mois, (sauf si l'étranger est déjà titulaire d'un titre de séjour d'un an), et prouver que la communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ;

    - à la délivrance de plein droit d'une carte de résident de 10 ans Actuellement le CESEDA autorise l'étranger marié depuis au moins deux ans à un(e) français(e) à bénéficier de la délivrance de plein droit d'une carte de résident (de 10 ans) :
    ° cette disposition est supprimée (art.29 avt projet).
    ° Pour les étrangers titulaire de cette carte de résident car marié à un français, possibilité de retrait de cette carte si rupture de la vie commune dans les 4 ans qui suivent le mariage.
  • L'acquisition de la nationalité française pour un étranger marié à un français est possible aujourd'hui après deux ans après le mariage : il sera de 4 ans désormais.
  • La protection contre l'expulsion dont bénéficie un étranger résidant régulièrement sur le territoire s'il est marié depuis au moins 3 ans avec un français : la durée du mariage exigée sera désormais de 4 ans.
  • La restriction pour les étrangers malades de l'accès à la carte " vie privée et familiale " : délai d'un an de résidence habituelle + remplacement de " prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité " par un état de santé devant nécessiter " des soins urgents dont l'absence mettrait en jeu le pronostic vital ".

En restreignant les conditions d'une vie familiale normale (au mépris de la CEDH) on va augmenter le nombre de sans papiers non expulsables, avec toutes la tension sociale que ces situations comportent (faire de l'immigration une source de désordre politique).

Comme le rappelle Patrick WEIL, " En matière de vie familiale ou d'asile les quotas sont contraires à la Constitution. Pour ce qui est de l'immigration de travail, la politique des quotas a échoué partout où elle était appliquée. Pour les travailleurs qualifiés, les quotas ne sont jamais atteints et, pour les non qualifiés, ils sont toujours dépassés, dans une proportion massive."



2) Le droit des étrangers comme un droit d'exception ou Atteintes aux libertés fondamentales par non respect des règles de procédure :

  • L'obligation de quitter le territoire peut être exécutée d'office par l'administration si au bout d'un mois suivant le refus de la délivrance ou du renouvellement de titre de séjour l'étranger s'est maintenu sur le territoire sans besoin d'Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (d'où moindre possibilité de recours) ;
  • Le refus de délivrance de titre de séjour et d'arrêté de reconduite à la frontière est examiné par un juge unique : au prétexte d'une surcharge des tribunaux administratifs du fait de l'abondance du contentieux de la reconduite à la frontière, pourquoi ne pas dans ces conditions appliquer le même type de procédure expéditive au contentieux fiscal ou de la fonction publique ?
  • Réduction des délais à 15 jours pour attaquer une invitation à quitter le territoire ;
  • Rq annexe (existait déjà) L'exigence de motivation des actes administratifs (loi de 1979) ne s'applique pas en matière de refus de visas....

3) Titre de séjour temporaire pour " activité professionnelle " :

  • La création d'une carte de séjour spécifique réservées d'une part aux meilleurs étudiants (diplômés de l'enseignement supérieur, établissements conventionnés, Master...) et d'autres part aux migrants hautement qualifiés.
  • Carte de séjour " compétences et talents " délivré à l'étranger " susceptible de participer, du fait de ses capacités et talents, de façon significative et durable au développement de l'économie française ou au rayonnement de la France dans le monde ou au développement du pays dont il a la nationalité ".
  • Titre de séjour pour les saisonniers d'une durée de 3 ans à condition qu'il ait sa résidence habituelle hors de France : ce titre de séjour l'autorise à travailler 6 mois sur 12, ce qui l'encouragera à travailler au black le reste du temps et surtout, n'étant pas certain d'obtenir un nouveau titre de séjour au bout de trois ans, il restera en France sans retourner dans " sa résidence habituelle " au pays.
  • Titre de séjour " travailleur temporaire " (L. 313-10 art. 10 avt projet) autorise l'étranger à travailler " dans catégorie professionnelle ou une zone géographique fixée selon les pénuries de main d'oeuvre constatées, par décret ": " la durée de validité de cette carte correspond à la durée de validité du contrat de travail dans la limite d'un an ".
Il s'agit en fait ici de durcir les conditions de régularisation d'une partie des étrangers main d'oeuvre précaire et bon marché (absence de contrôle effectif des employeurs au noir, en revanche demande à l'inspection du travail de sanctionner y compris les travailleurs irréguliers), tout en autorisant une main d'oeuvre " de qualité " à s'installer en France. Or la main d'oeuvre qualifiée, les quotas fixés ne seront pas atteints alors que la main d'oeuvre non qualifiées se verra refuser ses droits les plus fondamentaux, formant une " armée de réserve ".

Le rapport annuel que le projet de loi prévoit de présenter au Parlement sur les chiffres de l'immigration va prendre évidemment en compte seulement la situation des étrangers autorisés à résider en France et laissera dans l'ombre la majorité de la main d'oeuvre irrégulière et précaire. Il s'agira de débattre du nombre et de la nature des visas à délivrer, de l'application du système des quotas.
 
www.educationsansfrontieres.org

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